L'Himalaya à moto 3 : quitter le Spiti et gagner le Lahaul
L'itinéraire des 10 premiers jours de notre virée à moto ;
une boucle -que nous ne regrettons absolument pas, au contraire !-
pour contourner la route bloquée par des glissements de terrain
et éboulements au niveau du Rothang Pass
(marqué d'une croix, juste au Nord de Manali, notre point de départ)
Journée 9 : cap sur la sortie !
(de Kaza à Batol)
Mercredi, nous partons tous deux, Clément et moi, en début de matinée. Aurélien et Jérémie ont besoin de faire réviser leur moto avant d'affronter la mauvaise route, Pierre et Linda les attendent pour faire la route avec eux plus tard ; nous préférons rouler le matin, avant que les torrents ne s'affolent ... Le rendez-vous est donné au soir à Batol, où des voyageurs rencontrés sur le chemin nous ont conseillé d'y faire une étape qui permet de bien couper le pire de la route et de pouvoir affronter de bonne heure le lendemain un terrain - aux dires de tous - richement alimenté en eaux de fonte. Nous comptons ainsi gagner Keylong en 2 jours. En la matière on entend de tout et n'importe quoi : des locaux qui nous jurent que c'est possible en 5 heures, des touristes nous parlant de douzaine d'heures de bus, d'autres planifiant cet itinéraire sur 3 jours ... On a bien du mal à imaginer ce qui nous attend ! Ce qui est certain c'est qu'au programme de la journée il y a un col qui nous attend à 4551 mètres ...
Nous partons donc en amoureux par une belle matinée, un vent de liberté souffle dans nos cheveux ; la route est déserte, le paysage rien que pour nous ! La route longe pour quelques temps le cours de la Spiti, puis, elle s'en écarte et, nous menant de vastes plateaux en vastes plateaux qui s'étendent sous nos yeux à perte de vue entre deux chaînes de montagnes. Nous rencontrons ce matin-là un groupe de 7 belges (flamands) sillonant les routes avec un jeune et sympatique Indien pour mécano pour une durée de 45 jours ... nos chemins ne cesseront de se croiser et de se croiser jour après jour, jusqu'à ce que nous atteignons tous Leh (au Ladakh)
D'où nous venons.
Tous les deux nous prenons le temps de nous arrêter, d'aller faire de petites ballades où bon nous chante, de contempler des cascades d'eau qui dévalent sur des centaines de mètres. Car tout là-haut, ce ne sont que névés et glaciers ... Je m'amuse à prendre en photo toutes les petites fleurs et plantes rases qui, parmi de maigres mais résistants brins d'herbe, sont parvenues à survivre et se multiplier dans ce milieu si aride.
De temps à autre nous traversons des coulées d'eau inondant la chaussée, de petits écoulements nés des glaciers en fonte. Rien de méchant. Ca éclabousse, on rigole ; on se dit que si en fait de “torrents” nous n'avons rien de pire à affronter, ce ne sera vraiment pas la mer à boire !
Losar
Partis le ventre vide, le déjeuner nous tarde ... mais ce n'est qu'à Losar que nous trouvons enfin divers dhabas et où nous sustenter (Nota Bene : il est cependant possible de se faire mijoter un “maggi” dans un des hameaux situés entre Kaza et Losar ; un “maggi” c'est, comme tous les voyageurs en Asie le savent, un sachet de nouilles chinoises (à l'origine de la marque Maggi) jeté dans de l'eau bouillante). A noter au passage : excellent thali VRAIMENT à volonté (et Dieu sait si la volonté de Clément peut être grande !) dans la première gargotte du village sur la gauche, accueil très familial en plus ! Nous sentons que nous quittons une région, celle de la Spiti, pour pénétrer dans une autre : l'habit traditionnel des femmes est de nouveau complètement différent ! Le ventre plein nous allons digérer du côté du checkpost où la nonchalance appliquée de l'un des officiers n'a d'égale que le taux d'alcoolémie de son collègue qui cuve ostensiblement à l'entrée ... Notre attente est bercée par le mélodieux tintement de la cloche qu'agite le gros moulin à prières installé là que les passants font tourner.
La chambre du checkpost où sont vérifiés nos documents ; notez sur la table le télégraphe pour taper le code morse ...
Jusque là, la route était bonne. Du moins, c'en était une. Toutes les bonnes choses ayant une fin, nous revoilà sur la piste ... et le premier VRAI torrent ne se fait guère attendre !
Je pars à pied, allant chercher en amont un gué pour traverser au sec. Clément se lance mais, au beau milieu, dans une espèce d'épaisse soupe aux galets, la moto cale. Il lutte comme pas possible pour la sortir de là car la roue arrière s'est enfoncée dans un trou. Voilà notre Clément trempé d'une eau glacée et boueuse ...
Nous nous élevons peu à peu, en lacets, vers le col. La route est boueuse par endroits mais la pente peu raide. A un moment je suis cependant obligée de descendre de la monture qui ne veux plus trop avancer (l'altitude, trop chargés, trop lourds ...) et coupe à pied par une prairie. Nous roulons vers l'Est maintenant et avons changé d'orientation. Il est évident que cette vallée-ci reçoit plus d'intempéries que celle de la Spiti. Je patauge dans de la bouillie de neige fondue, comme au printemps dans les montagnes de chez nous.
Lorsque nous atteignons le col, sous le soleil, nos efforts sont largement récompensés : le panorama est splendide : ici des troupeaux de zogs (les demi-yaks), là de massifs glaciers si proches qu'il nous paraît qu'il suffirait d'étendre nos mains pour pouvoir les toucher ... Les sommets enneigés trônent sous nos yeux, tout autour de nous. Kunzum La 4551 mètres. Des stupas, des drapeaux de couleur qui volent au vent, un mur de prière ... Nous prenons le temps de graver ces images au fond de nos mémoires ...
Le col de Kunzum La, l'occasion de remettre notre altimètre à l'heure !
L'équipe des Belges prend la pose ...
Soleil et vues époustouflantes sont au rendez-vous mais qu'est-ce que ça caille !
Derrière les stupas le Bara-Sigri, paraît-il
le deuxième plus long glacier au monde.
Il est vrai qu'il en impose !
... et l'on réenfourche nos motos, ne sachant quelle route, quelles aventures et donc combien de temps nous séparent encore de Batol, l'étape du soir. Nous redescendons ainsi 600 mètres de dénivelé, sur une mauvaise piste de graviers et de boue, sillonnés des ruisselets créés par les congères qui s'égouttent, mais facilement, car tranquillement calés sur le frein moteur.
Une heure plus tard nous arrivons “en bas”. Nous traversons un pont. Là, devant nous, quelques tentes de fortune par-ci par -là, et deux dhabas eux aussi sous tente, tout cela éparpillé sur un sol de caillasses anguleuses. Nous découvrons, à notre grand désarroi, qu'il s'agit là de Batol. Ce n'est même pas un semblant de hameau ! Mais où allons-nous donc dormir ?
Nous demandons à celle qui tient le premier dhaba : “Guesthouse ?” On nous répond “No guesthouse. Finish.” et indiquant le lointain du bras “Keylong !” Oups. Keylong, vu d'ici, c'est un peu comme un autre continent tellement c'est loin ... Seconde de panique. Nous avons bien notre tente mais les copains ?
Nous leur avons donné rendez-vous ici, il n'y aura rien avant longtemps, le jour baisse, ils arriveront à la nuit ... Retourner à Losar ? Pourvu que ...
Un type passe. Nous tentons un “sleeping possible ?”. “Yes possible !” Nous voilà sauvés ! Et la femme du dhaba de nous indiquer une sorte de préfabriqué-igloo un peu plus haut, de ceux que l'on imagine peupler les surfaces glacées de l'Océan glacial Arctique ou de l'Antartique. Et de nous le faire visiter : des matelas de cotton à même le sol et des piles de couvertures. Nous n'avons jamais été aussi heureux de trouver un refuge, même aussi basique !
Batol. A droite les dhabas, à gauche notre "igloo"
Nous posons nos affaires et allons boire un thé chaud dans l'antre du dhaba, assis sur des bas-flancs formés par des murets de pierres plates posées à la verticales et formant ainsi comme des cercueils qui, une fois comblés de terre, de gravats et de détritus, recouverts de mousses de camping ou de couvertures, font office de bancs fort honnètes, assez larges pour accueillir le sommeil de plomb de voyageurs de passage. Les tables, basses, sont faites de bidons métalliques remplis de caillasses soutenant de longues pierres plates recouvertes de nappes douteuses. Dans un coin, près des fourneaux de la maîtresse de maison, un téléphone fixe assiégé par des travailleurs s'accrochant au seul fil les reliant au monde extérieur. Dans un autre, ça joue aux cartes. Un peu partout des étagères croûlant sous toutes sortes de provisions .... Nous allons ensuite faire un tour à pied dans ce domaine gris de roche enclos sous une chappe de nuages froids et sombres. L'air se fait glacial, je file me nicher au creu des sacs de couchage à l'abri de notre igloo de plastique ...
Dehors le vent souffle, il se met à pleuvoir ... Là-dedans on se croirait vraiment sous la tente d'une expédition au pôle Nord, loin de tous, isolé, en milieu hostile mais à l'abri !
Ci-contre notre "igloo" à l'heure des préparatifs, le lendemain matin
Le reste de la troupe finit par arriver , trempés, glacés ... partis à 11h de Kaza ils ont bien roulé jusqu'à ce qu'un glissement de terrain-ébouli-coulée-de-boue ne leur coupe la route peu avant le col, à eux et à deux bus arrivant en sens inverse. Tout le monde s'est mis à jeter des cailloux et des rochers dans le vide laissé par l'effondrement du sol, et, avec la boue et le gravier charrié par les eaux, une nouvelle piste de fortune, certes cahotique et instable, s'est reformée, permettant le passage extrèmement chavirant de tous les véhicules !
Dîner thali dans la dhaba puis direction nos paillasses à la lueur d'une bougie ... L'igloo a quelques fuites ... mais nous parvenons à passer la nuit bien au sec !
Journée 10 : l'humidité n'est pas un vain mot
(de Batol à Keylong)
Petit-déjeuner au lit (de très bonnes aloo parantha) servi par Jérémie et Clément. Merci les gars !
Clément a baptisé cette journée-là la journée "rivières" et c'est vrai qu'elle fut humide. Humide, on savait qu'elle le serait dès le début, on avait été prévenus, et on s'était habillés en conséquence. Nous savions que dans une vallée comme celle-là, sur une "route" comme celle-là, il faut partir tôt le matin pour traverser les rivières lorsque le niveaux des eaux est au plus bas. Une fois que le soleil donne, il est trop tard : les glaciers se mettent à fondre irrépressiblement et transforment le moindre écoulement en torrents ... Toute l'équipe est donc sur le pied de guerre de bonne heure (6h ... départ 8h ...) !
Nous savions que cette journée serait humide je le disais, et elle n'a pas tardé à l'être ! Nous roulons sur un chemin de galets bien ronds qui se dérobent sous nos roues. Parfois plus de chemin ; des pistes partent en tous sens, à nous d'évaluer la "moins pire" : celle-ci fonce dans des congères, une autre finie dans une mare, une troisième dans la grosse rivière qui a fait de la vallée son lit. Nous opterons donc pour ... celle qui traverse le torrent ! Et ainsi de suite. Au bout de 15 minutes tout le monde est trempé jusqu'à mi-mollets, sauf Jérémie et moi qui avons décidément les meilleures pompes et préférons toujours traverser à pied. Il est quasi impossible de garder l'équilibre sur la moto "pieds levés" lorsque les roues se fichent dans les amas de galets ou se coincent entre des rochers immergés. Car à travers les flots, on ne voit en général rien de ce sur quoi on roule ...
La "journée rivières"
Le paysage est glacial, dans son écrin de nuages, mais l'air est doux. Autour de nous il n'y a que roche et glace. Les nuages se balladent tranquillement à nos côtés. C'est complètement grisant. Partout des cascades, des cascades et encore des cascades, innombrables ... De temps à autres nous apercevons des bergers nomades, campant près de leurs troupeaux de moutons occupés à arracher au sol les quelques touffes d'herbes qui y poussent.
Nous n'avons pas assez de nos yeux pour nous rassasier des merveilles du paysage ...
Mais peu à peu les pâturages se font plus verts, les gazons plus épais, plus fleuris. Nous rencontrons aussi des chevaux qui errent semble-t-il ; on pourrait les croire sauvage mais non, il y a toujours un maître qui veille quelque part, à l'abri du vent derrière un rocher par exemple, ou en train de se faire chauffer un thé dans le creu d'une falaise ...
Arrivés à Chhatru, vers les 11 heures, deuxième petit-déjeuner, euh, non, en fait déjeuner. Le soleil se montre et chacun met ses pompes à sécher.
On aurait alors pu croire qu'on en avait fini avec les rivières. Et bien non, c'est reparti de plus belle, avec de plus grosses quantités de flottes, étant donné l'avancement dans la journée et les faveurs du soleil ... A chaque virage ou presque nous attendent de longues langues de neige dégoulinante abritant souvent un torrent sous-jacent ... Et puis des cascades, des cascades, encore et toujours, toutes uniques et différentes, gracieuses ou vertigineuses, toutes aussi peu photogéniques ! Il y en a des centaines ...
Je ne l'ai peut-être pas encore assez bien précisé mais, depuis le matin, la route est complètement défoncée, elle part en lambeaux, s'effrite,
disparaît sous les eaux, réapparaît sous de la boue etc etc ... Le pire du pire, sans conteste. Et pourtant on ne peut pas dire qu'il n'y a pas des gens qui travaillent, jours après jours, dans
un éternel recommencement, à la consolider, à la déblayer, à l'élargir, à la paver ou à l'asphalter. Voici la panoplie d'un de ces travailleurs
Le parapluie ? Oui, car en même temps que nous redécouvrons la couleur verte déployée à grande échelle ainsi que l'existence d'arbres ailleurs que dans des vergers pieusement irrigués, nous célébrons aussi les retrouvailles avec la pluie, histoire d'être bien sûrs que la journée soit suffisament humide.
C'est aussi le moment que choisissent les soudures précaires du porte-bagage d'Aurélien et Jérémie pour cèder ... on ne vous cachera pas que les secousses de notre chère piste y étaient pour quelque chose. L'affaire est vite et provisoirement rafistolée avec la sangle qui tient habituellement les sacs sur notre moto. Le surnom de MacGyver commence à coller sacrément bien à la peau de Clément ...
Peu après nous atteignons enfin une vraie route bitumée. C'est que nous sommes arrivés à Gramphoo où la route
de la Spiti rejoint l'axe reliant d'une part Manali et le Rothang Pass à, d'autre part Keylong et, au-delà, Leh. C'est là que le chemin de Pierre et de Linda (dont les vacances se terminent et
qui doivent s'en retourner du côté de Manali) et les nôtres était amenés à se séparer. Mais de pareils au revoir auraient été trop rapides, un peu à la vite ... Après un moment d'indécision et
grâce au pouvoir de conviction d'Aurélien, ils décident de poursuivre avec nous jusqu'à Keylong !
A Gramphoo, guère plus que quelques barraques et des nuages lourds de pluie couvrant le pays Lahaul. Les camions que vous voyez convoient du bois de chauffage vers la Spiti ... qui n'a guère que des brindilles et des bouses à offrir à ses feux ...
La route est maintenant bonne, excellente même par contraste, mais au loin les
nuages sont noirs, chargés de pluie. On espère passer à travers la saucée. Une petite centaine de kilomètres (peut-être 80, je ne sais plus) nous séparent encore de Keylong. Nous roulons
vite, entre les gouttes. Et puis d'un coup le ciel s'ouvre et c'est le déluge qui s'abat sur nous. Nous décidons de poursuivre, maintenant le cap sur Keylong et la douche chaude. Nous
allons à peut-être 30 km/heure mais avons l'impression de foncer, foncer à travers les trombes d'eau. Nous évoluons dans une vallée verte, archi-verte, et apercevons entre les nuées des
cascades à foison qui ne savent plus que faire de leur eau tant il y en a. Clément qui n'a pas de casque (sa taille est introuvable en Inde) est obligé d'enlever ses lunettes pour y voir quelque
chose. Nous sommes trempés jusqu'aux os . La bonne route n'a pas tenu bien longtemps bien sûr. Il y des travaux un peu partout, des passages boueux qui surgissent tout à coup sans crier gare, et,
bien que l'on apprécie à sa juste valeur chaque pont enjambant les torrents, il n'en demeure pas moins quelques larges flaques et autres ruisseaux dans lesquels nous nous aventurons à
l'aveuglette. (Trop d'eau= pas de photo)
Et puis c'est enfin Keylong qui s'annonce, avec la première pompe à essence depuis Kaza,
située (que ceux qui seraient un jour tenté par l'aventure ne s'y méprennent pas) à Tandi, une bonne dizaine de kilomètres avant Keylong. Et c'est actuellement là la dernière pompe civile avant
la vallée de Leh ! Nous y arrivons plus qu'architrempés et filons bien vite nous réchauffer dans la chambre que, Pierre et Linda, arrivés avant nous, nous avait réservé. Un seul regret : ne pas
avoir pu profiter du paysage merveilleux de cette vallée encaissée, dissimulé derrière moult couches de nuages ...
Après la sieste, soirée bière à volonté pour fêter les au revoirs !
Keylong, le parvi de la gare routière. Autour, les sommets enneigés ...
Keylong, pays Lahaul, retour en milieu hindou. Que leurs
Dieux veillent sur nous ...
Pour connaître la suite de nos aventures sur la route du Ladakh, guettez la publication prochaine de la page L'Himalaya à
moto 4 (en haut à droite de la page du blog)